Apprendre à raconter…

… est une véritable gageure pour qui, en son temps, a eu la prétention, un rien démesuré, d’accepter de le faire et se retrouve, séance tenante, confronté à un public d’étudiants en illustration et bandes dessinées, plus ou moins jeunes, issu de milieux divers et surtout variés !
Non seulement vous vous apercevez bien vite que vos trente années d’expériences et de roublardises de professeur d’histoire et de géopolitique ne forment, en fait, qu’un pauvre bagage mais aussi que, une fois la première séance portant sur les quelques techniques scénaristiques épuisée, vous êtes confronté à la réalité de votre engagement en la matière : enseigner la création et stimuler l’imaginaire d’un public avec lequel vous partagez si peu de références, écart d’âge oblige, si ce n’est votre humanité. La belle affaire !

Evidemment, tout le monde s’accorde à dire que notre imagination se nourrit, entre toutes autres choses, d’un vaste banquet où culture et expériences, œuvres impactantes et vécu composé de joies, grandes et petites, et des drames de l’existence propres à chaque être humain sont autant de plats offerts à notre appétit susceptible, ainsi, d’être à jamais rassasié.

Oui, peut-être… Mais comment donner l’envie du premier coup de fourchettes, inviter à découvrir de nouvelles saveurs et, surtout, ne pas imposer ses propres goûts ou préférences
culinaires ?

Par le partage, tout simplement. En acceptant, humblement, de jouer autant le rôle de convives que d’amphitryon. En confrontant ses opinions avec gourmandise, en mettant la main à la pâte dans la posture du marmiton ou du premier commis de cuisine car, fût-il au départ solitaire, le travail de création ne peut se passer d’ingrédients extérieurs comme la critique, la relecture ou la remise en cause aussi doux-amers, acides ou sucrés soient-ils. C’est votre plat, bien sûr, vous en êtes le chef, mais si une pincée de ceci ou de cela en rehausse la saveur, il n’en sera que meilleur. Et puis, il faut espérer que vous ne serez pas le seul à le déguster !

Bon appétit à toutes et à tous !

Berko

Voilà bien longtemps déjà que l’histoire de Les Guerres Légumières me trotte dans la tête. Si elle est, tout à la fois, un condensé de mes goûts, obsessions et souvenirs d’enfance, elle naquit lointainement, telle une révélation, à la vision d’une carte postale illustrée mettant en scène un lapin se jetant sur une carotte surprise et effrayée par tant d’ardeurs affamées.

Mais ce n’est que quelques années plus tard, au printemps 2010, que les premiers mots de ce récit furent couchés sur le papier. Même si cette histoire prenait initialement la forme d’un conte, le protagoniste principal de cette aventure, le lieutenant d’infanterie Paul d’Estremont, évoluait déjà dans un contexte guerrier rappelant le premier conflit mondial, et mettait en scène le tragique affrontement entre le Royaume Herbivore et l’Empire Végétal. Il me fallut attendre l’été 2012 et mes discussions passionnées avec Dani, pour qu’une évidence s’impose à moi, à nous. L’histoire de Les Guerres Légumières devait être racontée en bandes dessinées.

L’image allait épouser le récit, lui donner cette puissance narrative et cette incarnation visuelle.
Ce ne fut point chose aisée. Oui, le contexte de la IIIème République et les ambiances du roman populaire, avec son lot d’éventreurs, de savants fous et autres sociétés secrètes étranges, accompagnent mon quotidien de scénariste du jeu de rôle, Maléfices, depuis 1986. Mais parvenir à retranscrire le monde de Les Guerres Légumières à l’intérieur de cases et de bulles de dialogue ne fut pas une mince affaire, surtout quand vous avez comme intime référence La Bête Est Morte, de Calvo, lue et relue depuis l’enfance.

Plus notre travail progressait et plus il nous est apparu que les thématiques alimentaires et géopolitiques évoquées dans Les Guerres Légumières faisaient écho à des préoccupations sociétales actuelles. Nous tenions à en nourrir notre bande dessinée et à creuser encore davantage le récit afin que, comme nous, cela déchaîne en vous et entre vous, enthousiasme, jubilation et discussions enflammées !

Et enfin, comment ne pas remonter à l’origine et ne pas faire le lien avec le travail de mon père, Michel Gaudo, créateur de Maléfices, scénariste des bandes dessinées Charitas, tragique justicier bravant tous les dangers dans ce Paris mystérieux de la Belle Époque, qui faisait aussi vivre, en son temps et à un autre Paul d’Estremont, l’enfer des tranchées. Ce premier album des Guerres Légumières, quatrième version d’un projet longtemps mûri et chéri, lui est évidemment dédié.

Berko